(Texte écrit en 2013 ou 2014, me souviens plus.)
Un grand test s’en vient. Et je crois que nous allons l’échouer.
J’ai vu ce débat, l’autre jour. À l’émission française Les Experts. À propos du président français qui disait vouloir, pour relancer l’économie, miser sur la « croissance » au lieu de l’« austérité » (soit un mélange de hausses de taxes et de réductions de dépenses).
Un des invités, Olivier Berruyer, a frappé le clou sur la tête, comme on dit en bon français. « Que l’austérité à l’allemande, à l’italienne, à l’espagnole, à la grecque ou à l’anglaise ne marche pas, ce n’est pas une grande surprise. Ça fait une vingtaine d’années qu’on vit à crédit. Qu’on achète de la croissance fictive à crédit, en s’endettant. C’est bien évident qu’au moment où on va couper la dette, on coupe immédiatement la croissance. »
Bingo.
On peut invoquer la déesse « croissance » tant que l’on veut, comme dit Berruyer. Mais il faudrait peut-être se faire à l’idée qu’elle ne viendra pas. Ou du moins, qu’elle sera plus faible. Dans plusieurs pays développés, les États et les individus atteignent de plus en plus leur limite d’endettement. Et sans la « dope » du crédit, demain risque d’être un monde un peu plus raisonnable, un peu plus austère. Où l’on pourrait vivre — horreur! — selon nos moyens.
Ce qui se passe en Europe, au Québec ou aux États-Unis comporte des similitudes. C’est la surconsommation — de nous et de nos gouvernements — qui tire à sa fin. Les Anglais appellent ça du pull-forward demand. Depuis des années, nous avons consommé tout de suite — via le crédit — notre consommation de demain. Que vous soyez de gauche ou de droite ne change rien à cette réalité mathématique.
Ça veut dire que les individus et les gouvernements vont probablement se serrer la ceinture dans les prochaines années. Du coup, plusieurs de nos « acquis » risquent de se faire malmener, qu’on le veuille ou non. Et ça va mettre en rogne bien des gens. En France on sort dans la rue. En Grèce et en Espagne, on lance des roches aux policiers. Ici aussi.
Et ça ne fait que commencer.
On va quand même s’en sortir. On en a vu d’autres. Un ménage à faire, une ardoise à régler, et on repart. Le capitalisme — enfin, ce qu’il en reste — finit toujours par rebondir. Ne jamais sous-estimer la créativité et la capacité d’innovation des humains.
Mais ça aiderait si on pouvait prendre conscience que pendant plusieurs années, on risque de faire du surplace. De payer la facture du party des vingt dernières années. Cette perspective de long terme, cette toile de fond, elle manque dans nos débats de société en ce moment. Si on est incapable d’inclure cette réalité dans nos revendications, si nos dirigeants continuent de croire naïvement que la « croissance » va nous sauver, on risque de prendre les mauvaises décisions.
La dette, la faible croissance économique, les promesses de services publics de plus en plus intenables à cause du vieillissement de la population… Tout ça va forcer un réajustement de l’État-providence, dont on expérimente aujourd’hui à peine les premiers soubresauts. Et quand je vois ce qui se passe dans la rue, je me dis que nous ne sommes peut-être pas prêts, collectivement, à affronter ça.
L’État, c’est le royaume des groupes d’intérêt. Et chacun tient à son bonbon. Plus l’État grossit, plus il devient infesté de groupes d’intérêt, qui s’y collent comme des sangsues et gonflent chaque année en suçant plus d‘argent des contribuables. Au fil des ans, le gouvernement est devenu une simple courroie qu’utilisent ces groupes pour piger dans nos poches – avec l’approbation des politiciens qui gagnent leurs élections en dépensant l’argent des autres. Si vous avez le malheur de ranger le sac de bonbons, la bagarre éclate.
Si l’économie s’enlise, croyez-vous que les agriculteurs vont accepter qu’on réduise leurs programmes d’aide? Qu’on permette au prix du lait de baisser? Pensez-vous que les entreprises vont renoncer facilement aux milliards $ de subventions directes et indirectes qu’on leur verse chaque année? Que les banquiers vont être solidaires et payer volontairement plus d’impôts? Que les employés de la SAQ vont sacrifier leurs généreuses augmentations de salaire? Que l’immense bureaucratie syndicale érigée autour du système de garderies subventionnées et des autres programmes sociaux va accepter qu’on coupe un sou dans ses privilèges? Que les artistes vont renoncer à leurs subventions? Que les restaurateurs de la rue Crescent vont accepter de payer eux-mêmes pour la venue du Grand Prix? Pensez-vous que les dizaines de ministères et organismes gouvernementaux inutiles vont soudainement dire : « OK, pour le bien commun, abolissez mon poste! » J’en doute.
L’État n’aura pas le choix. Il devra réduire ses dépenses. Mais avec tous ceux qui en profitent actuellement – incluant les politiciens eux-mêmes –, ce sera une tâche titanesque.
Comme le disait Frédéric Bastiat en 1848 : « L’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». C’est quand ça va mal qu’on le réalise pleinement.
Est-ce que ce sera un pour tous et tous pour un? Ou plutôt, chaque groupe d’intérêt pour lui-même, et tous contre le contribuable?
Un grand test s’en vient.
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Ce texte, ainsi que plusieurs autres, sont publiés dans mon livre L’argent des autres, disponible sur Amazon.ca.